En novembre dernier, notre chère petite Teresita a rejoint la maison du Père. Teresita, c’était un peu notre petite Marthe Robin chilienne. Souffrant depuis de nombreuses années d’une maladie des os qui aboutît rapidement à une paralysie complète de tous ses membres, notre amie Teresita incarnait selon moi, l’essence même du mystère chrétien, le scandale de la croix et sa fécondité infinie pour nos vies. Certes elle n’a pas reçu 100 000 visiteurs comme Marthe ; seulement quelques amis fidèles du quartier et les visites régulières des Amis de enfants. Pourtant, tout comme Marthe, aucun ne sortait tout à fait le même de la chambre de Teresita. Notre amie a profondément marqué la mission et la vie des volontaires de Valparaiso. Pour ma part, en m’asseyant au pied de son lit, jamais je n’ai autant compris l’importance de la présence de Marie au pied de la croix, une présence intense et silencieuse auprès de son Fils agonisant, une présence que je désirais être aussi pour Teresita. Aujourd’hui, quel témoignage pourrais-je donc lui rendre ? L’extrait de l’une de mes anciennes lettres aux parrains manifestera peut-être un peu la grâce particulière de Teresita, une grande dame qui convertissait chaque jour un peu plus le cœur de ses amis en cœur de chair :

« Lorsque nous vivions dans l’ancien Point-Cœur de Porvenir Bajo, notre voisine Teresita faisait véritablement partie de notre quotidien. Petite dame prostrée depuis plusieurs années à cause d’une grave maladie des os, elle passe ses journées allongées dans son lit ou assise sur sa chaise roulante. Son corps entier comme une seule plaie la fait souffrir. Nathan, mon frère de communauté avait pris l’habitude d’aller la voir chaque matin pour la transporter de son lit à sa chaise roulante, mission délicate à cause de la douleur que ressent Teresita dans chaque membre et qui implique une grande délicatesse pour celui qui la prend dans ses bras. Je me rappellerai ainsi toujours de la première fois que l’on m’a demandé de transporter la Teresita de sa maison à notre salle de bains (les filles venant la laver chaque semaine). J’arrive dans la salle de bains, très peu confiant en mes capacités physiques pour réaliser le trajet — je n’ai certes pas les aptitudes physiques de Nathan, ancien champion de natation. Il me faut par ailleurs descendre l’escalier de la maison avec Teresita dans les bras, escalier dont les marches étroites m’inspirent beaucoup de crainte. Lorsque je m’arrête devant Teresita dont la toilette vient d’être achevée, je pense à toutes les choses auxquelles je dois prêter attention : entourer son dos avec mon bras en cherchant la zone qui la fera souffrir le moins et qui me permettra également d’effectuer la distance, la soulever avec délicatesse et la serrer fort contre moi pour la rassurer, prêter attention au passage des portes pour ne pas que son pied heurte le mur, à la descente de l’escalier de la maison (à ce moment, les marches m’apparaissent désespérément étroites). Au cours de ce premier trajet — le chemin est pourtant court, car Teresita habite dans la maison voisine — je demanderais par trois fois à Alejandra son aide pour soutenir Teresita et me permettre de me reposer. J’avais donné tant d’énergie et d’attention pour descendre l’escalier avec Teresita dans les bras que les forces m’avaient abandonné une fois dans la rue. Don Jaime, son mari, en me voyant venir avec notre amie, le visage livide et les jambes flageolantes, explose de rire et me donne un premier surnom « la Pantera Rosa ». Le rapprochement n’est pas évident mais enfin, la panthère rose ne doit pas sa célébrité à ses capacités physiques, il me semble J. Première traversée épique, et bon coup pour l’humilité. Et pourtant, Teresita, en dépit de sa souffrance et malgré son inquiétude bien compréhensible de voir de nouveaux bras aussi peu sûrs que les miens la porter, n’a dit traître mot. Ou si, un mot, lorsque j’ai fini de l’installer sur sa chaise : « Gracias ». Son regard de gratitude et cette parole de miséricorde suffisent à combler mon cœur.

La seconde fois, j’ai enfin la bonne idée de prier l’Esprit Saint pour qu’il me donne force et amour pour la Teresita. Cette fois, j’effectue le trajet sans encombre et avec une énergie nouvelle, j’arrive à la salle de bains de notre maison sans avoir demandé aucune aide. Pourquoi ce changement ? L’amour m’avait suggéré de porter Teresita en la serrant fort dans mes bras, comme une enfant, avec confiance et délicatesse, tout près de mon cœur. Ce n’est plus un fardeau mais une amie et j’avais fait une forte expérience de la force de l’amour, de celui qui supplée toutes les défaillances. Prier avant tout pour changer mon cœur. J’avais demandé force et amour au Seigneur mais l’amour suffisait largement. » (LAP n° 5 — 16 août 2011)

 Je confie à vos prières l’âme de notre chère amie et celle de son mari Don Jaime décédé l’année passée. Qu’ils puissent ensemble danser éternellement une cueca céleste !